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Déjà les beaux jours, – la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; –
Et rien de vert : – à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
– Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
Gérard de Nerval , Odelettes
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Printemps
Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !
Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,
Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L’oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d’une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d’amour ; la nuit, on croit entendre,
A travers l’ombre immense et sous le ciel béni,
Quelque chose d’heureux chanter dans l’infini.
Victor Hugo
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La Rose de la prairie
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Il y a bien, bien longtemps, quand le monde était jeune et que les gens n’avaient pas encore émergé, aucune fleur n’égayait la prairie. Seuls y poussaient des herbes et de ternes buissons gris-vert. Terre était bien triste, car sa robe manquait de couleur et de beauté.
« J’ai tant de belles fleurs dans le cœur, se disait alors la Terre. Comme j’aimerais qu’elles soient sur ma robe.
Des fleurs bleues comme le ciel clair des beaux jours, des fleurs blanches comme la neige de l’hiver, des fleur d’un jaune éclatant comme le soleil de midi, des fleurs roses comme une aube de printemps, toutes, je les porte dans mon cœur. Je suis si triste quand je regarde ma robe terne, toutes de gris et de bruns.
Une tendre petite fleur rose entendit la plainte de Terre. « ne soit pas triste, Terre-Mère , je vais aller pousser sur ta robe et la rendre plus belle. »
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Alors, la petite fleur rose monta du cœur de la Terre-Mère pour égayer la prairie. Mais lorsque le Démon du Vent l’aperçut, il se mit à gronder : « je ne veux pas de cette jolie petite fleur sur mon terrain de jeu. »
Hurlant et rugissant, il se précipita sur elle et souffla la flamme de sa vie. Mais l’esprit de la fleur revint au cœur de la Terre-Mère.
Quand d’autres fleurs courageuses sortirent à leur tour, le démon du Vent les tua l’une après l’autre. Et leur esprit revint au cœur de la Terre-Mère.
A la fin, Rose-de-Prairie proposa d’y aller. « Bien sur, ma douce enfant, lui dit Mère-Terre. Je te laisserai partir. Tu es si jolie et ton souffle si parfumé que le Démon du Vent en sera charmé. Il te laissera sûrement rester dans la prairie.
Rose-de-Prairie fit donc le long voyage à travers le sol sombre et sortit dans la prairie terne. Tandis qu’elle cheminait, Terre-Mère se disait en son cœur « Comme j’aimerais que le Démon du Vent la laisse vivre ! »
Lorsque Démon du Vent l’aperçut, il se rua vers elle en hurlant : « Elle est jolie, mais je ne veux pas d’elle sur mon terrain de jeu. Je vais souffler la flamme de sa vie. » Et il s’élança, grondant et soufflant en violentes bourrasques. Mais en s’approchant, il sentit le parfum de Rose-de-Prairie.
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« Comme il est doux, se dit-il alors. Je n’ai pas le cœur d’ôter la vie à une si jolie jeune personne au souffle si parfumé. Il faut qu’elle reste ici, avec moi. Il faut que j’adoucisse ma voix, que je lui chante de douces chansons. Il ne faut pas que je l’effraie avec mon terrible vacarme ».
Et le démon du Vent changea. Il se fit paisible. Il envoya de douces brises sur les herbes de la prairie. Il susurra et fredonna de petits chants de joie. Il avait cessé d’être un démon.
Alors, les autres fleurs montèrent du cœur de la Terre-Mère à travers le sol sombre. Elles firent de sa robe de prairie une parure gaie aux couleurs vives. Même le Vent en vint à aimer les fleurs qui poussaient parmi les herbes de la prairie. C’est ainsi que la robe de Terre-Mère devint belle, grâce à Rose-de-Prairie, à sa beauté, son parfum et son courage.
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Il arrive parfois que le Vent oublie ses doux chants, qu’il gronde et fasse du tapage. Mais ce bruit ne dure jamais longtemps. Et il ne fait jamais de mal aux personnes qui portent des robes couleur de la Rose-de-Prairie.
Histoire des Sioux Lakota
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Renouveau
Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long baîllement.
Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau,
Et, triste, j’erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane.
Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,
J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève…
— Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
Stéphane Mallarmé
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